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09
Jan

Sonian Wood Coop

Comment faire entrer la forêt de Soignes dans le salon des Bruxellois ?

Bien connue pour ses hêtres majestueux et sa fonction sociale très développée, la forêt de Soignes regorge aussi d’une ressource naturelle noble et appréciée des consommateurs : le bois, majoritairement feuillu. Pourtant, la toute grande majorité de ce bois part chaque année vers l’Asie, au détriment des filières locales. Est-il possible de rapprocher cette ressource écologique et renouvelable des consommateurs bruxellois ? Sonian Wood Coop l’a fait. Stephan Kampelmann nous a raconté l’histoire de cette coopérative, dont il est co-fondateur. Une histoire passionnante que nous vous invitons à découvrir.

Du constat à la naissance d’un projet

Stephan est enseignant chercheur spécialiste en économie circulaire à l’ULB. Ses compétences associées à la proximité immédiate de la forêt de Soignes l’ont conduit à pointer l’absurdité d’un système pourtant bien établi : la grande majorité des hêtres et autres bois feuillus issus de la forêt de Soignes remplissent des conteneurs maritimes en direction de la Chine. Le géant asiatique, très gourmand, importe ainsi de grandes quantités de bois européens qui sont transformés pour les besoins des consommateurs chinois ou pour nous revenir sous forme de mobilier « made in China » ou de cure-dents !

Outre l’aberration environnementale des milliers de kilomètres qu’impliquent ces allers-retours, c’est aussi la valeur ajoutée de la transformation de ces bois qui part à l’étranger, signant l’arrêt de mort des capacités de sciage de certaines essences sur notre sol. Loin de céder à la tentation du fatalisme face à cette situation, Stephan décide de jeter une bouteille à la mer sur les réseaux sociaux. Comme quoi, il n’y a pas que des bêtises sur Facebook vu que c’est par l’organisation d’un apéro-causerie avec des personnes potentiellement intéressées par les circuits courts et la valorisation du bois local qu’il fait deux rencontres clé : Benjamin Moncarey, menuisier et designer désireux de travailler du bois local et Dirk Boonen, bûcheron travaillant pour des exploitants forestiers et motivé par l’idée de voir le fruit de son travail valorisé en Belgique.

Au-delà de l’idée et d’une motivation partagée, se pose alors le défi du financement pour concrétiser un projet. Une campagne de financement participatif est lancée en 2019 et rencontre très vite le soutien de citoyens, pouvoirs publics et entreprises, ce qui permet de récolter près de 30.000 € qui serviront à acheter un premier lot de bois sur pied. La Société Royale Forestière avait d’ailleurs contribué à cette collecte de fonds.

Achats en forêt privée

La possibilité d’acheter en gré-à-gré et de négocier en direct avec les propriétaires a naturellement incité la toute jeune coopérative à se tourner en premier lieu vers des ventes de bois privées.

Outre les modalités de vente, les propriétaires privés présentent une autre particularité : une relation humaine. L’attachement que peut avoir un propriétaire forestier pour ses arbres est, en effet, un ingrédient particulier. Aujourd’hui, des propriétaires prennent parfois contact avec la coopérative de leur propre chef.

Stephan évoque une expérience avec un propriétaire qui devait se résoudre, à contre-coeur, à faire exploiter des arbres afin de pouvoir rajeunir sa forêt. Extrêmement soucieux de voir son bien valorisé avec respect, l’initiative Sonian Wood Coop a été, pour lui, presque thérapeutique
! Consciente de l’attachement du propriétaire pour ses arbres, l’équipe Sonian Wood Coop a veillé à bien l’informer des dates prévues pour les abattages afin de lui laisser le loisir d’organiser une petite fête d’adieux à ses arbres. Depuis, il contacte directement Sonian Wood Coop quand il a des lots à exploiter. Il fut d’ailleurs très heureux d’apprendre que des frênes coupés chez lui étaient devenus… des vélos grâce à Zafi Cycles, une jeune entreprise bruxelloise spécialisée dans la fabrication de cadre de vélo en bois.

Si cet exemple peut sembler anecdotique, il met cependant en évidence un intérêt et une sensibilité accrue des propriétaires privés envers des initiatives porteuses de sens. Quand un propriétaire passe des décennies à investir son temps et son énergie aux bons soins de sa forêt, la perspective d’une valorisation de son travail en produits locaux à haute valeur ajoutée est autrement plus attrayante que de voir partir ses arbres à l’autre bout du monde pour terminer en bâtons d’esquimaux.

Aujourd’hui, Sonian Wood Coop achète aussi des lots en forêt publique, il n’y a pas d’exclusive sur le type de propriétaire mais plutôt un rayon d’action : 35 km de rayon à partir de la Grand-Place.

Produits proposés

Un autre défi de la filière bois feuillus est de rapprocher les producteurs des transformateurs. Relever ce défi fait partie intégrante de la philosophie de la coopérative.

Sonian Wood Coop propose deux grands types de produits :

  • du sur mesure pour du mobilier ou des aménagements intérieurs, par exemple des tables ou des escaliers. Les Bruxellois se montrent très réceptifs à l’idée d’avoir du bois local dans leur intérieur. Cet attrait conduit même à rechercher des bois aux caractéristiques considérées
    comme des défauts sur le marché classique : coeur rouge, présence de noeuds…
  • du parquet en hêtre : le hêtre se prête également très bien à cette utilisation en lieu et place du chêne dont il est une alternative très appropriée pour cet usage.

Plus marginalement, la coopérative propose aussi du bois brut scié via des distributeurs ainsi que des éditions limitées d’objets divers en fonction des demandes et opportunités. En effet, de nombreux hêtres de la forêt de Soignes présentent des caractéristiques hors normes : ils sont « trop gros », « pas droits », « pas assez blancs » ou ont « trop de noeuds ». Ces caractéristiques sont considérées comme des anomalies par les opérateurs industriels du bois. Avec ses arbres hors normes, Sonian Wood Coop crée des éditions limitées qui transforment des arbres uniques en objets uniques.

Et le prix dans tout ça ? Sonian Wood Coop travaille en Belgique ce qui implique forcément l’application des coûts salariaux et des normes sociales belges.

Cependant, elle ne vise pas le marché du luxe, au contraire, elle s’inscrit dans la droite ligne de l’esprit du Bauhaus européen (voir encadré) qui vise à encourager et fédérer des initiatives conformes à l’idée que l’environnemental doit être accessible à tous.

Philosophie de la coopérative

(extrait du site de Sonian Wood Coop : https://sonianwoodcoop.be/wood/)

La philosophie de Sonian Wood Coop est d’utiliser au mieux les ressources locales dont nous disposons. Nous examinons chaque arbre individuellement et décidons avec nos partenaires de la forêt, de la scierie et de l’établi de l’utilisation la plus appropriée, en tenant compte des caractéristiques uniques des différents arbres. Le fruit de ce processus alimente notamment nos Editions Limitées en bois local. Ce niveau de coopération tout au long de la chaîne de valeur est rare dans le secteur du bois et une force clé de notre approche locale du bois.

Nouveau Bauhaus européen : Esthétique, durable, ouvert à tous

Inspiré des principes fondateurs du mouvement Bauhaus créé par l’architecte allemand Walter Gropius en 1919, le Nouveau Bauhaus européen est un espace de co-création dans lequel les architectes, les artistes, les étudiants, les ingénieurs et les designers travaillent ensemble. Impulsé par Ursula Von der Leyen, ce mouvement vise à allier style, durabilité et économie circulaire tout en restant accessible au plus grand nombre.

Économiquement viable ?

Au démarrage du projet, les fondateurs ont multiplié les contacts avec des acteurs du secteur de la forêt et de la filière bois et se sont parfois heurtés à un certain scepticisme. Au regard du système actuel, aberrant d’un point de vue environnemental mais très bien organisé et performant sur les coûts de transformation, certains acteurs de la filière ont émis des réserves envers l’initiative qui resterait, selon eux, marginale.

Loin de se laisser décourager, les fondateurs ont persévéré et, trois hivers plus tard avec le passage du Covid19, des confinements qui l’ont accompagné et de la guerre en Ukraine, les résultats sont plus qu’encourageants. Non seulement les consommateurs bruxellois ont largement
manifesté de l’intérêt pour l’initiative mais, de plus, le système a montré sa capacité de résilience face aux crises là où le système mondialisé a montré ses failles.

Bien sûr, Sonian Wood Coop est encore jeune mais a déjà montré qu’il est possible de proposer, en Belgique, des produits tels que le parquet en hêtre de Soignes, ce qui offre un potentiel de transformation important. Stephan et les autres membres de la coopérative sont des rêveurs avec les pieds sur terre : ils sont bien conscients que l’on ne devient pas un gros exploitant du jour au lendemain et que le déploiement de leur activité suppose le développement de leur capacité de transformation et donc des investissements financiers importants. Cependant, ils ont largement gagné en confiance et crédibilité dans l’écosystème de la filière bois. Ce qui était parfois considéré au départ comme une initiative sympathique mais pas forcément réaliste fait aujourd’hui office de source d’inspiration comme en témoigne les nombreuses sollicitations reçues pas Stephan pour des demandes de partage d’expérience.

Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait !
Mark Twain

Le bois local : un atout pour la fonction sociale

La forêt de Soignes est un très bon exemple de forêt prisée du public pour les balades, le sport et autres activités récréatives. Il peut dès lors arriver que des promeneurs croisent des arbres abattus au détours d’un chemin. Parfois, certains réagissent mal à ce spectacle qu’ils perçoivent comme une destruction. Stephan et ses équipes ont eu l’occasion de faire face à une réaction de ce type mais, dès qu’ils ont expliqué le projet et son ancrage local dans une forêt gérée durablement, la personne s’est immédiatement détendue. Un peu comme si, tout à coup, le lien entre la forêt comme lieu de ressourcement et la matière de sa table de salon se recréait. Ceci met en évidence tout le sens de ce type de projet qui permet de relier différentes fonctions de la forêt et leur importance pour l’intérêt général.

Un modèle transposable ?

Stephan reçoit des marques d’intérêt pour une transposition du modèle, et ce, d’acteurs très variés : propriétaires forestiers, communes, jeunes entrepreneurs… mais, si le modèle a du sens, il ne suffit pas d’en faire un « copier-coller » dans n’importe quelles conditions. Le contexte local joue un grand rôle et il faut avant tout s’assurer de la présence de trois ingrédients à proximité :

  • un gisement suffisant en taille, volume et qualité ;
  • une capacité de transformation permettant de produire à partir du gisement ;
  • un marché pour valoriser les produits.

La forêt de Soignes et un marché urbain avec des débouchés sont des éléments spécifiques à Bruxelles que l’on ne retrouve pas partout. Pour la capacité de transformation, le système coopératif permet aux acteurs du projet d’amener leur propre savoir-faire et matériel pour démarrer, toujours sous réserve de trouver ces acteurs au niveau local. Il y a, en effet, toute une filière à retricoter pour valoriser les feuillus sur notre sol national.

La valorisation de nos feuillus : une préoccupation partagée

Le constat de base qui a conduit à la création de Sonian Wood Coop est totalement partagé par les acteurs de la filière bois.

« La filière wallonne ne manque pas de bois. En feuillus, nous ne récoltons que 65% de l’accroissement annuel et 57% de nos forêts sont composées de feuillus. Mais les scieries wallonnes éprouvent des difficultés à se fournir. La transformation des feuillus en Wallonie ne représente que 5% de l’accroissement. C’est comme si quelqu’un se laissait mourir de soif à côté d’une fontaine » (Emmanuel Defays – « La Chine rachète tout le bois wallon, la filière doit trouver des solutions » – article du 6 mai 2022 en ligne sur https://www.rtbf.be).

À l’occasion de Demo Forest dans la foulée de la foire agricole de Libramont, une causerie débat était d’ailleurs organisée sur le thème « Comment valoriser localement les bois feuillus produits en Wallonie ? ». Le chêne, largement présent dans nos forêts, a particulièrement été évoqué et les échanges ont aussi mis en évidence le nécessaire rapprochement entre les producteurs et les transformateurs pour faire réémerger des opportunités de développement de filières plus locales.

La Wallonie prend des initiatives pour favoriser l’émergence de projets permettant une valorisation locale accrue en produits finis de qualité afin de limiter les exportations. Dans le cadre du Plan de relance de la Wallonie, les Ministres Céline Tellier, en charge de la Forêt et de l’Environnement, et Willy Borsus, en charge de l’Economie et de l’Innovation, ont lancé deux appels à projets « Valorisation des bois feuillus ». Les informations sur l’avancement de ces appels à projets sont disponibles sur le site de l’Office Economique Wallon de Bois (https://www.oewb.be/innovation).

L’avenir est aux audacieux

Le bois est l’une des rares ressources naturelles dont la Wallonie dispose en abondance. Une opportunité réelle pour le développement de filières locales, économiquement et environnementalement viables, et porteuses de sens.

Encore faut-il pouvoir s’affranchir d’un contexte de marché mondial qui étouffe l’audace de s’autoriser à envisager d’autres possibles. Sonian Wood Coop l’a fait, en mariant rêve et réalisme. En leur consacrant cet article, nous ne vous proposons pas une recette miracle à appliquer
et ne préjugeons pas de l’avenir mais nous vous invitons à partager avec eux, avec nous, cette valeur qui fait grandir : l’audace d’entreprendre et d’innover.

Résumé

La mission de la Sonian Wood Coop est de relocaliser la transformation du bois de la forêt de Soignes. La coopérative travaille étroitement avec différents partenaires le long de la chaîne de valeur et organise la production durable de bois local de haute qualité. De l’achat d’arbres sur pied à l’utilisation finale dans des projets d’architecture ou de design, son travail consiste à s’assurer que toutes les étapes le long du chemin soient aussi durables, locales et qualitatives que possible.

Samenvatting

Het is de missie van de Sonian Wood Coop om de transformatie van het hout uit het Zoniënwoud te herlokaliseren. De coöperatieve werkt nauw samen met verschillende commerciële en niet-commerciële partners die deel uitmaken van de waardeketen en organiseert de duurzame productie van lokaal hoogwaardig hout. Van de aankoop van staande bomen tot het uiteindelijke gebruik in architectuur of ontwerpprojecten, is het hun taak ervoor te zorgen dat alle ondernomen stappen zo duurzaam, lokaal en eerlijk mogelijk verlopen.

En savoir plus : sonianwoodcoop.be

Écrit par Pascaline Leruth (Forest Friends)

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